Thursday, March 21, 2013

Le poisson et le bananier, David Bellos

Le poisson et le bananier

Plutôt que de chercher directement à définir le concept de traduction, David Bellos, l'auteur de Le poisson et le bananier : une fabuleuse histoire de la traduction, cherche à le circonvenir, à le pousser dans ses retranchements en se demandant d'abord si on peut l'éviter, en montrant les pièges de l'« illusion nominale » (un mot n'est pas forcément reflet d'une réalité) ou en renvoyant dos à dos original et traduction. Car le concept est fuyant, glissant, sujet à interprétation.

Une bonne traduction doit-elle sonner étranger ? Ne doit-on traduire que vers sa langue maternelle ? Qu'est-ce que cela signifie, d'ailleurs ? Et puisqu'on parle de signification, la traduction ne fait sens que dans un contexte plus large où la valeur d'un énoncé importe plus que ses termes, où les conventions du genre de l'énoncé (un titre de film, une recette de cuisine) ont plus de poids que les mots en eux-mêmes.

De nombreux thèmes sont encore abordés, tels que le mythe de la traduction littérale ou la défiance envers les traducteurs, héritage de l'oralité, les prouesses de la traduction simultanée, la traduction de l'humour… Chacun d'eux est illustré à travers les âges, de la Chine antique à l'empire ottoman, de la Renaissance française et italienne à l'ONU, de la traduction d'Astérix à celle de la Bible, des sous-titres de films à la poésie, du procès de Nuremberg qui créa les techniques de la traduction simultanée à la DG Traduction de l'UE…
Si vous entrez dans un Starbuck's et que vous demandez un « café », il y a de fortes chances que le barista vous fixe d'un œil vide. Pour lui, ce mot-là est dépourvu de sens. Dans ma variété dialectale de Coffeeshop Talk (ce que j'appellerais mon « tok kofi » si j'habitais en Papouasie-Nouvelle Guinée), il existe au moins trente-sept termes correspondant à autant de nuances de « café ». Si vous n'employez pas un de ces termes, votre énoncé paraîtra énigmatique, ou produira un résultat indésirable. Citez donc cet exemple la prochaine fois qu'on vous raconte que les Esquimaux ont cent mots différents pour désigner la neige. Si un explorateur martien devait visiter votre bar et déduire du jargon local que les Européens occidentaux moyens ne possèdent pas de terme unique pour nommer le type de boisson englobant toutes les sous-espèces de liquide noir ou brun, chaud ou froid, servi en petites doses dans des gobelets en polystyrène expansé, et si cet extraterrestre voulait en tirer argument pour humilier votre langue sous prétexte qu'elle serait hors d'état de formuler les concepts les plus évolués de la pensée interplanétaire – désormais, vous pourrez l'envoyer promener.
Le poisson et le bananier, Une histoire fabuleuse de la traduction, écrit par , traduit de l'anglais par Daniel Loayza avec la collaboration de l'auteur, est disponible aux éditions Flammarion (2012, 394 pages). Son titre en version originale est Is that a fish in your ear? Translation and the meaning of everything.


David Bellos est traducteur et biographe de langue anglaise. Il enseigne le français et la littérature comparée à l'université de Princeton où il occupe aussi le poste de directeur de programme de Traduction et Communication interculturelle.

1 comment:

  1. Je suis contente de voir ce livre, incontournable pour votre blog, d'ailleurs!
    Coïncidence, je viens juste de terminer la lecture de Great Gatsby (en VO), une blogueuse vraiment fan de ce roman m'ayant dit du mal des traductions existantes. J'avoue avoir eu près de moi une version française pour m'aider avec certaines expressions (plus simple que de chercher un dictionnaire), version française que je n'ai pas trouvée si mauvaise que cela, même si bien sûr ce ne pouvait être 100% l'original.

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