Besźel et Ul Qoma, Ul Qoma et Besźel, deux villes côte-à-côte, juxtaposées et pourtant étrangères, telles Berlin, Jérusalem ou Budapest, deux cités-états situées quelque-part dans les Balkans, avec cette différence culturelle et psychologique poussée à l’extrême, puisque chaque habitant est entraîné depuis son plus jeune âge à ignorer tout ce qui a trait à l’autre ville, à l’éviser, à l’inouïr, à l’insentir : habitants, véhicules, bâtiments, sons et odeurs. Alors même que les villes ne sont séparées par aucun mur ni aucun fleuve, les quartiers s’interpénétrant, les habitants des deux villes pouvant se croiser dans la rue, à pied ou en véhicule, tout en faisant partie de pays et de cultures différentes s’ignorant complètement, le tramage qui dénote cette frontière immatérielle ne se trouvant que dans leurs têtes. Et gare à ceux qui rompent, qui traversent cette frontière avec l’étranger : la Rupture, cette force extra-territoriale aux pouvoirs démesurés, les fera disparaître corps et biens.
Même leurs langues sont différentes bien qu’apparemment issue d’une même langue-mère, le besź d’un côté et l’illitan de l’autre. C’est univers étrange fait inévitablement penser aux Cités Obscures de Schuiten et Peeters, à ceci près qu’elles se trouvent dans notre monde, qu’on y utilise internet et qu’on peut s’y rendre en avion de Paris ou du Canada.
C’est dans cet univers dont les règles se dévoilent petit à petit que l’inspecteur Borlú doit enquêter sur l’apparition du corps d’une jeune femme dans un terrain vague de Besz, quand tout laisse à penser qu’elle vient de Ul Qoma.
C’est dans ce quartier que les exilés ulqomans en mal du pays venaient se procurer leurs pâtisseries, leurs petits pois frits au sucre, leur encens. Les odeurs de l’Ul Qomatown de Besźel étaient source de confusion. On insentait d’instinct ces franchisseuses de frontières aussi insouciantes que la pluie. (Un proverbe voulait que « la pluie et la fumée vivent dans les deux villes ». Une devise similaire existait à Ul Qoma, avec le brouillard en guise de sujet. La nôtre portait parfois sur d’autres phénomènes : ordures, eaux usées — voire, en cas de locuteur audacieux, les pigeons ou les loups…) Pourtant, ces effluves-là se trouvaient dans Besźel.The city & the city a été adapté dans une mini-série télévisée éponyme de quatre épisodes d’une heure par la BBC2 en avril 2018 pour laquelle la linguiste Alison Long a créé l’illitan parlé dans la ville d’Ul Qoma.
Très rarement, un jeune Ulqoman méconnaissant le secteur de sa ville qu’Ul Qomatown tramait allait gaffer, demander son chemin à un habitant d'origine ulqomane en le prenant pour un compatriote. Devant pareille erreur, vite détectée — rien de tel pour vous alerter que de vous faire brusquement éviser —, la Rupture se montrait en général clémente.
The city & the city est un roman de l’auteur britannique China Miéville publié en mai 2009 dans sa version anglaise aux éditions Macmillan (312 pages), et en octobre 2011 dans sa traduction par Nathalie Mège aux éditions Fleuve Noir (390 pages).
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