Sous-titré « Comment ne pas survivre en travaillant », cette enquête journalistique à l’ancienne menée par Barbara Ehrenreich nous fait découvrir les conditions de travail et de vie de la main d’œuvre non qualifiée qui travaille pour 6 à 7 dollars de l’heure et souvent moins, principalement dans ce qu’on appelle l’économie de service, un salaire à peine suffisant pour louer une caravane ou une chambre de motel à partager en colocation forcée.
Tout-à-tour serveuse en Floride, femme de ménage dans le Maine, ou vendeuse à Wal-Mart dans le Minnesota, l’auteure partage avec nous le quotidien de celles et ceux qui doivent souvent jongler avec deux mi-temps dans une course éreintante où la moindre maladie prend des proportions titanesques, où l’on travaille le ventre vide de ne pouvoir manger à sa faim, soumis aux petits-chefs à peine mieux lotis et à la délation érigée en système de management par la peur. Peur d’être trop malade pour aller travailler dans un pays au système social dévasté, peur de ne pas tenir le rythme imposé, peur de dénoncer toutes ces heures non payées à la frontière fragile entre l’extrême pauvreté et un salariat fait d’humiliation quotidienne et des petites joies de celles qui se serrent les coudes quand l’une flanche ou que l’autre perd son logement, acceptant sans rechigner les formulaires d’embauche insultants, les tenues de travail facturées, le mépris souvent hautain des maîtresses de maison, la servilité d’un travail jamais reconnu dans son utilité.
Lorsque je ne trouve plus de surfaces à nettoyer et que j’ai épuisé le stock de chambres, Maddy me confie le sol de la cuisine. D’accord, sauf que Mrs. W. s’y trouve, dans cette cuisine, et que je dois me mettre à quatre pattes pratiquement à ses pieds. Nous n’utilisons pas un de ces balais-éponges, comme celui que j’ai chez moi. Le nettoyage à quatre pattes est un élément très vendeur pour les entreprises de nettoyage comme The Maids. « Nous lavons les sols à l’ancienne — à genoux » (vante, en italique, la brochure). En fait, quels que soient les avantages de la méthode à l’ancienne — on est en effet plus près du sol et à même de repérer la moindre trace de crasse —, la méthode de « lavage à sec » imposée par The Maids gâche tout. En effet, on nous impose d’utiliser un petit seau d’eau tiède pour une cuisine et tous les sols des pièces adjacentes (coin-repas et autres zones de repas) — ce qui signifie qu’en quelques minutes nous ne faisons rien d’autre qu’étaler la crasse sur les sols.Paru en France aux éditions Grasset (2004, 336 pages), L’Amérique pauvre, Comment ne pas survivre en travaillant est un livre de Barbara Ehrenreich, écrivaine américaine (Butte, Montana, 1941) traduit de l’anglais américain par Pierre Guglielmina (version originale : Nickel and Dimed: On (Not) Getting By in America aux éditions Picador, 2011).
Bravo pour cette enquête à l'ancienne! Ces terrifiantes conditions de travail sont-elles vraiment si éloignées de celles que l'on peut trouver en Grande-Bretagne par exemple?
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