Cédric Gras est attiré par la Russie extrême-orientale, les vastes paysages de la Sibérie, les lieux rudes, les villages oubliés ou abandonnés, les distances qui les séparent et qu'il parcourt en journées de train, en nuits d'auto-stop, en journées de marche dans la neige et le froid.
Il nous présente dans ce livre sous-titré « Aux confins de la Fédération de Russie » l'étonnant renversement sémantico-géographique de la rose des vents. Car plus on progresse vers l'est de la Fédération, plus on part vers le nord, c'est-à-dire principalement le froid et les conditions d'existence difficile. Car ce nord-là est à la fois critère administratif, puisqu'il applique aux salaires qui sont proposés dans ces zones lointaines un coefficient d'autant plus élevé qu'elles sont déclarées septentrionales, et humain, les vacanciers partant vers le sud alors qu'ils font cinq jours de train plein ouest pour rejoindre les stations balnéaires de la mer Noire en Crimée.
L'insularité est aussi un phénomène intéressant décrit ici, la Russie centrée sur Moscou reste avant tout le Continent, et ces zones lointaines de peuplement des îlots, comme au temps de l'Archipel du Goulag.
On y découvre l'hospitalité de ces gens qui offrent leur unique lit pour le voyageur de passage, la rudesse de la nature et des bois que parcourt l'auteur à pied pendant des semaines durant lesquelles il chante pour éloigner les ours, une poignée de cailloux dans les poches pour les chiens, la fraternité qui noue les hommes des bois aussi sûrement que la vodka, les échanges commerciaux de la zone frontière entre la Chine et la Fédération, ou bien encore l'exploitation forestière du Kamtchatka et du Sikhote-Aline.
Et lorsqu'on vous débarque brusquement dans le vide immuable de ces lieux, car le fourgon qui vous convoyait bifurque vers un cul-de-sac, vous revenez soudain dans une autre réalité. Le monde défile à des vitesses différentes à pied ou de manière motorisée. D'un coup vous entendez les bruits de la forêt, vous remarquez des traces d'ours sur la terre battue, un pneu abandonné sur le bas-côté jonché de bouteilles de cognac, souvenir d'une longue panne. Vous marchez de désespoir : mieux vaut cheminer vers l'horizon sans fin que de patienter éternellement. La marche est un bonheur qui vous conduit vers deux Yakoutes s'appliquant depuis dix ans dans une station météo à enregistrer des records de froid. Ils ne s'arrêtent plus de rire, leur chien a fourré le nez dans un pot en plastique et erré trois jours à l'aveuglette dans la taïga avant qu'on ne le retrouve.Le Nord, c'est l'Est (éditions Phébus, 2013, 214 pages), écrit par Cédric Gras, directeur de l'Alliance Française de Donetsk en Ukraine, grand voyageur qui sillonne l'Extrême-Orient russe.
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