Pourquoi apprendre une langue avec laquelle on n'a aucun lien ? Cette question du pourquoi, Vassilis Alexakis ne se la pose que furtivement, livrant des bribes de raisons à ceux qui lui demandent. Pourquoi faudrait-il d'ailleurs une raison ? On ne demande plus aux alpinistes pourquoi ils escaladent les montagnes. Parce qu'elles sont là est une raison suffisante qui ne satisfait qu'eux.
Dans son roman autobiographique Les mots étrangers, Vassilis nous conte sa découverte du sango, langue des piroguiers de l'Oubangui, sa décision d'entreprendre son apprentissage, ses émerveillements grammaticaux, puis son voyage en Centrafrique et la rencontre de ceux qui la parlent, la font vivre et évoluer pour qu'elle s'adapte au monde actuel, inventant les mots qui manquent à cette langue de contact à tradition orale.
Pour lui qui parle le grec et le français et écrit dans ces deux langues, le sango va servir à se distancier du monde et lui permettre d'accepter la mort de son père qu'il évoque souvent et entrevoit parfois.
— Comment faites-vous pour créer des mots ?Les mots étrangers, écrit par Vassilis Alexakis, est disponible aux éditions Stock (2002, 321 pages). Vassilis Alexakis est un écrivain franco-grec né à Athènes en 1943, qui écrit à la fois en français et en grec, et se traduit lui-même d'une langue à l'autre.
— Je me laisse guider par l'évolution de la langue. Je ne fais qu'accélérer son mouvement. Senda, la science, fait partie de plusieurs noms composés. Je me suis permis d'ajouter senda-be, « cardiologie », senda-nu, « hydrologie », senda-nu-Nzapa, « pluviométrie », senda-Nzapa, « théologie ». Je travaille en liaison avec des journalistes et des universitaires de Bangi. Nous échangeons nos idées. Ils testent les néologismes auprès de leurs publics respectifs. Un nom comme bakari, que j'ai forgé à l'époque où je rédigeais le dictionnaire avec Mathilde, fait déjà partie du langage courant.
Qu'est-ce qui se passe au rez-de-caussée ? On se chamaille, on galope, on fait claquer les portes, on renverse des objets. Marcel Alingbindo n'entend rien, ou bien il a l'habitude de l'agitation. J'aimerais fonder une famille juste pour m'habituer aux rires des enfants.
— Nous nous sommes aperçus en terminant ce travail que le terme « dictionnaire » nous faisait défaut. Or, nous en avions absolument besoin car le titre de l'ouvrage devait être composé en français et en sango. Je me suis souvenu alors des histoires qu'on racontait dans mon village sur un génie de la forêt qui avait une grosse tête et qui était censé tout savoir. Ce génie s'appelait Bakari. Nous avons donc traduit « dictionnaire » par bakari. Nous courions naturellement le risque d'être désavoués par les locuteurs du sango, mais comme je vous l'ai dit, ils ne nous ont pas désavoués.
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